Les mobilités en montagne, et si on faisait durable ?

Le 05/11//2019, à Montmélian, l’Agence a co-organisé avec le Cluster montagne, l’INES, la French Tech in the Alps et l’Université Savoie Mont Blanc, un Atelier de l’Innovation sur la thématique des mobilités durables en montagne

L’objectif de l’Atelier de l’Innovation Une Rivière Un Territoire est de donner la parole à des acteurs d’une filière, pour partager des expériences, des réflexions, des éclairages, sur un thème en lien avec l’économie, l’emploi et les territoires de montagne. Une conférence, deux tables rondes ont réuni 160 personnes lors de cette matinée.

Houille blanche et or blanc, des enjeux partagés

La houille blanche et l’or blanc sont deux filières majeures de l’économie montagnarde dans les Alpes du Nord. « Entre ces 2 filières, il y a de nombreuses interfaces avec EDF : l’eau des barrages est une ressource pour la neige de culture de plusieurs stations, nous avons en commun de nombreux prestataires, EDF est le fournisseur d’électricité de plusieurs domaines skiables, nous disposons d’une expertise Montagne avec nos Unités d’Ingénierie (CIH et DTG), et nous partageons les enjeux autour des mobilités propres et décarbonées, a expliqué Manuel Lenas, directeur de l’Agence EDF Une Rivière Un Territoire Savoie, autant des convergences qui nous amènent à être attentifs aux problématiques de développement économique et d’attractivité des territoires de montagne. C’est important pour le ski mais aussi pour les industriels, en termes d’emploi, de recrutements, de pérennité des activités.» Aujourd’hui, les mobilités constituent l’un des enjeux de l’attractivité des territoires montagnards et la question des accès aux stations de ski est devenue centrale quand il est question d’expérience ou de parcours clients, d’accueil par les acteurs du tourisme.

Travailler l’intermodalité

L’un des usages sur lesquels l’INES est impliqué depuis longtemps, c’est le transport et la mobilité. En effet, dès que le transport s’électrifie, il présente un intérêt pour l’INES car l’énergie solaire pourra y contribuer peu ou prou et le couplage mobilité/énergie solaire est un sujet qui intéresse l’INES, comme l’a exposé Franck Barruel, directeur de l’INES Evaluation & Formation. Au cours de son propos, il a mis en évidence (au travers d’un exemple qui met en scène 2 couples qui partent de Paris pour venir en station de ski, l’un en voiture et l’autre en transport en commun),  que le point à travailler pour inciter les touristes à emprunter les transports en commun, c’est l’intermodalité car les multiples transferts complexes pour emprunter le RER, le TGV, le TER et le bus, font la différence avec la voiture. Mais comme l’a souligné Jean Varlet, professeur de l’Université Savoie Mont Blanc, les facteurs de repos, de temps de lecture, de discussions, de rencontres qu’offrent les transports en commun sont aussi à prendre en compte dans les analyses de temps de trajet.

Du non soutenable au durable

Au fil de sa conférence, Jean Varlet a démontré comment l’analyse des mobilités dans le massif alpin fournit d’utiles éléments à la réflexion quant à l’accès à la montagne et à ses circulations internes. A travers des exemples, il a abordé tout à la fois les enjeux, les difficultés rencontrées, les réponses en matière d’organisation et d’aménagement des réseaux et des stations.

Du côté du non soutenable, ce qui domine, c’est la congestion hebdomadaire hivernale, systématique tous les week-ends du 20 décembre à début avril, avec des volumes plus ou moins importants. Ainsi, à l’entrée en Tarentaise, la circulation passe du simple au triple lors du samedi le plus chargé, et ce sont 1000 km de bouchons cumulés durant ces 4 mois. Une situation non viable pour les vacanciers, les stations, les transporteurs, à laquelle s’ajoute le ré-enclavement du territoire puisqu’il faut 3 h pour faire Lyon – Chambéry, 3 h pour Chambéry – Moûtiers et encore 2 h pour accéder aux stations. Ce qui met Lyon à 8 h de trajet, et il n’existe pas d’itinéraires bis. Résultat, tout le secteur des Alpes du Nord est enclavé, et les résidents et les actifs qui travaillent sont impactés.

Avec les JO de 1992, la situation s’est améliorée pendant quelques années mais aujourd’hui, on revient à la situation connue dans les années 80. Sur 20 ans, le trafic a augmenté de ¾ et en même temps, la capacité d’accueil a doublé entre 1980 à 2009. Et de 1991 à 2017, elle a cru de 80%, révélant l’absence de corrélation entre politique des transports et développement touristique.

A ne pas oublier dans les analyses, les trajets quotidiens des actifs, artisans, saisonniers, vers les stations. Par exemple, en Tarentaise, 12000 véhicules/jour montent en station soit 1 million par saison hivernale de 4 mois (autant que les publics qui arrivent le samedi sur 4 mois). Une situation due au fait que ces actifs ne peuvent pas résider en station en raison du coût élevé du foncier. Dans les trajets vers les stations s’ajoutent les touristes qui changent de domaine durant leurs séjours. Autant de trajets qui pourraient être gérés par des transports collectifs, car près de 70 à 80 % sont générés par des autosolistes.

 

Face à ces difficultés de mobilité, les enjeux portent sur le concept-même des vacances pour les clients qui passent 2 jours sur 7 sur les routes, sur l’attractivité et la compétitivité de la première activité économique de la montagne et sur la qualité environnementale.

La mobilité durable, c’est trouver des mobilités qui vont durer dans le temps et non faire durer nos mobilités actuelles. Reste à trouver ensemble des idées pour écrêter quelque peu le nombre de véhicules, l’idée n’étant pas de supprimer la voiture.

Par exemple, lors de JO de 1992, les voitures étaient arrêtées selon les horaires, sur des tronçons, à Albertville dans des aires de parkings, et un réseau d’autocars desservait les stations.

Dans les Dolomites, Alpe di Siusi, à 1800 m, n’est accessible que par câble. Il existe une seule route, qui n’est accessible en voiture qu’aux clients justifiant d’une réservation à l’hôtel. Les autobus peuvent monter selon une cadence régulière.

Autre système, du côté de Lucerne, où a été mis en place un concept de circuit, le golden round trip pour accéder au Pilatus, qui combine téléphérique, funiculaire, bateau.

En octobre 2019, les Suisses ont fait le choix de mettre en service un train depuis l’aéroport de Genève jusqu’au Châble, où les touristes peuvent prendre soit le car soit le téléphérique pour monter jusqu’à Verbier.

A Bettmeralp (9000 lits), pas de route pour y accéder. Mais en 1974 une gare téléphérique a été installée au bas du massif. Et en haut, des moyens de déplacement électriques multiples accueillent les touristes et actifs de la station.

A Avoriaz, dès sa conception, il a été décidé de rejeter la voiture en périphérie de la station, dans laquelle s’organisent les déplacements des piétons, des skieurs, des véhicules de secours.

La station sans voiture suppose une maîtrise de l’offre multimodale mais c’est d’abord un problème d’accessibilité. Aujourd’hui, une évidence s’impose : il faut améliorer les chaînes de transport multimodales.

En France, il devient urgent d’avoir une conception globale des systèmes de transport et qu’ils soient articulés avec les politiques d’urbanisme, de tourisme. Il est nécessaire de décloisonner les institutions, les opérateurs de réseaux, et de s’interroger en premier lieu sur les logiques de déplacement des personnes.

Territoires suisses et français : des défis similaires mais une gestion différente de la mobilité

Les territoires de montagne, suisses et français, ont les mêmes défis mais en Suisse, la population a souhaité préserver les infrastructures de transport mises en place il y a plus de 100 ans et les développer. Pour Pascal Fivaz, sous-directeur de Chablais TP qui gère les transports en plaine et montagne sur ce territoire, la bonne correspondance entre les transports est un thème central dans leur activité : comment et jusqu’où est assurée la correspondance sans perturber tout le système ?  L’une des forces du réseau est de rendre le trajet plus rapide en train qu’en voiture sur certains secteurs. Mais parmi les arguments pour sensibiliser les usagers à prendre le train, celui du repos est mis en avant.

Face aux enjeux de la mobilité et de l’accessibilité aux stations, l’intermodalité qui conjugue plusieurs modes de transport est une solution. Il faut donc travailler sur la gouvernance : politiques publiques, ambition et cohérence des documents d’urbanisme, des schémas de déplacements urbains à une échelle territoriale, a souligné Antoine François, directeur adjoint du cabinet EPODE. A l’échelle d’une station, il faut rassembler l’ensemble des acteurs qui ont un impact et les faire travailler ensemble.

Aujourd’hui, dans tous les pays, l’idée est que l’on fait partie d’un système de transport qui lui-même est intégré à un ensemble de systèmes, explique Jean Souchal, Président du directoire de POMA. L’intermodalité est fondamentale, les niveaux de confort et la disponibilité des appareils doivent être maîtrisés car ce sont de véritables chaînes uniques qui sont structurées et elles doivent être solides. Dans le transport par câble, la technique n’est pas un problème. Dès qu’il y a un vrai projet il existe des réponses appropriées. Mais, dans les projets, il ne faut pas perdre l’essentiel : quelle est la fonction attendue et comment le faire.

Dans la station, il faut mettre en place des systèmes de transport collectif, a souligné André Plaisance, maire de Les Belleville – Val Thorens – Les Menuires, Président de la communauté de communes Cœur de Tarentaise, Vice-Président de l’Association Nationale des Maires de Stations de Montagne. Et les nouveaux moyens de transport, comme la navette autonome, présentent beaucoup d’intérêt, notamment dans une démarche de développement durable. Des actions mises en œuvre tout en veillant à la satisfaction du client.

Verbier est une station construite après les années 70, conçue pour la voiture. Mais aujourd’hui, il existe une connexion ferroviaire Genève aéroport /Verbier sans rupture de charge. Et si le client achète son forfait de ski à la station, il coûte le même prix qu’avec le transport, a expliqué Vincent Pellissier, Directeur des Mobilités de l’Etat du Valais. En Suisse, il existe  un swiss pass pour l’ensemble des transports publics.  A Zermaat, il y a une complémentarité : pour les touristes, l’accès se fait par le train ; pour la logistique, c’est par la route. Mais, comme le précise Vincent Pellissier, on entre en vacances dès que l’on monte dans le train, pas de rupture de charge, du wifi, du catering, un service de bagagiste jusqu’au pied des pistes, une expérience utilisateur qui fait la différence.

Pour des projets d’évolution de mobilité, Pascal de Thiersant, Président du directoire du S3V, estime qu’il est nécessaire de prendre du recul et il conçoit trois étapes : la volonté de le faire (montrer que l’on est vertueux dans la gestion des transports renforce l’image de marque auprès des clients), la vision (comment serons-nous dans 30 ans pour que les actions aient une cohérence, et quelle coopération de l’ensemble des gouvernants) et le troisième point, le plus délicat, c’est le courage politique car le temps de l’aménagement du territoire est plus long que le temps politique.

Il y a du travail

Le sujet est d’une complexité considérable, a conclu Patrick Grand’Eury, Président du Cluster Montagne. Il concerne tous les massifs, il se concentre sur une courte période. Alors faut-il accepter une contrainte minimum ? La notion de valeur perçue par le client doit aussi guider les réflexions et pas uniquement les débats de techniques, d’investissements, de politiques, nécessaires collectivement, mais in fine, ce qui va faire la différence, c’est la valeur perçue par le client, le résidant qui y travaille, qui y vit : c’est le visiteur mais aussi le local. Personne n’a la solution, elle est collective et à long terme. Il faut oser tester des choses.

Or blanc et houille blanche en quelques chiffres :

France : 3ème rang mondial de la fréquentation touristique en station de sport d’hiver
300 M€/an investis sur les domaines skiables
10 M de touristes en station l’hiver

EDF : 1er producteur d’hydroélectricité de l’Union Européenne. Sur le sillon Alpin, EDF Hydro, c’est 1/4 de la production hydraulique nationale, soit la consommation domestique de 7 M d’habitants. Sur ce territoire, 2300 hydrauliciens EDF dont 1/3 travaillent dans les vallées (Maurienne, Tarentaise, Arve, Beaufortain,…), 1600 prestataires pour 130 M€ d’achats en 2018.

Les acteurs présents au Showroom :

  1. Altibus (https://www.altibus.com/)
  2. Atawey (http://atawey.com/)
  3. Be Green (https://www.b-e-green.com/)
  4. Bertolami (http://www.autocars-bertolami.fr/)
  5. Box@ll (https://www.box-all.fr/)
  6. Cluster Montagne (http://www.cluster-montagne.com/)
  7. EDF Commerce (https://www.edf.fr/entreprises)
  8. French Tech in the Alps Chambéry (https://www.digital-savoie.fr/)
  9. Ines Formation et Evaluation (https://www.ines-solaire.org/)
  10. Moonbikes (https://moonbikes.co/)
  11. Nextérité (http://www.nexterite.com/)
  12. Pysae (https://pysae.com/)
  13. Skiday (http://skiday.fr/)
  14. Université Savoie Mont Blanc / M2 – TITUS (http://formations.univ-smb.fr/fr/catalogue/master-XB/sciences-humaines-et-sociales-SHS/master-geographie-m1-m2-program-master-geographie-amenagement-environnement/m2-transports-intermodalite-territoires-titus-classique-et-alternance-subprogram-m2-titus.html)